Derrière eux se cache une histoire fascinante et macabre à la fois, à la gloire de la musique et des hommes qui l’ont commandée et écoutée. Ces voix n’existent plus aujourd’hui ou, plutôt, dans les mêmes conditions que celles du passé.
Ces voix avaient un nom. Lorsqu’elles sonnaient dans le registre d’une soprano, on les appelait des castrats. Lorsqu’elles sonnaient dans le registre d’un contralto, on les appelait des contre-ténor. Ces dernières étaient des voix aiguës, très aiguës, enfermées dans un corps masculin, d’une puissance sonore énorme et d’une virtuosité extrême. Ce résultat était obtenu en ôtant l’un ou les deux testicules du chanteur à l’âge de 11 ans. C’était une opération difficile avec un taux de mortalité élevé. Les enfants qui survivaient, étaient assurés d’avoir une vie confortable. Leur gloire et leur renommée, surpassaient même celles des meilleurs compositeurs.
Certains ont gagné d’énormes fortunes en chantant pour des rois et des papes, comme Carlo Broschi, surnommé Farinelli. Lorsqu’il concourait jeune contre des trompettistes virtuoses, il les faisait littéralement «fariner» (farina en italien) avec ses mélodies remplis d’ornements virtuoses. Il était le musicien personnel du roi Philippe V (petit-fils de Louis XIV « le Roi Soleil ») et du roi Ferdinand VI de Bourbon d’Espagne. Il était le seul à réussir à les endormir avec ses belles mélopées. Même le maître du chant italien, Nicola Porpora, avait écrit une magnifique aria pour Farinelli (Alto Giove, dans l’opéra Polifemo).
Francesco Bernardi, surnommé Senesino était un autre castrat très célèbre. Il avait une voix légèrement plus basse que Farinelli, qui se rapprochait plus du registre du contre-ténor. Il a vécu la moitié de sa vie à Londres. Haendel, célèbre compositeur anglo-saxon, avait écrit quelques-unes des arias les plus célèbres pour ce type de voix, mettons comme exemple le “Lascia ch’io pianga” de son opéra Rinaldo en 1711.
Mais pourquoi les enfants étaient-ils castrés pour conserver leur voix aiguë à l’âge adulte ?
Tout a commencé au XVe siècle, lorsque la polyphonie religieuse nécessitait l’utilisation de quatre voix dans des registres vocaux différents, pour couvrir l’idéal sonore de l’époque. Il y avait deux voix hautes (soprano et contralto) et deux voix graves (ténor et basse). Les premières étaient équivalentes à la tessiture naturelle des femmes ou des enfants et les secondes à la tessiture naturelle des hommes.
A cette époque, les femmes ne chantaient pas avec les hommes dans la musique religieuse. Il n’y avait pas de chœurs mixtes. À de nombreuses reprises, les enfants ne suffisaient pas, surtout lorsque le répertoire commençait à se complexifier et que des voix beaucoup plus puissantes et virtuoses étaient nécessaires pour être accompagnées par des instruments aussi stridents que les chirimías ou les cornets.
Quelle que soit la croissance du reste du corps, un garçon castré gardait la même longueur de cordes vocales tout au long de sa vie. Ces voix chantant dans ce registre aigu des enfants, sans être non plus des voix féminines, possédaient les ressources virtuoses et la puissance sonore du corps d’un homme adulte. Et c’est ainsi que ces voix spéciales ont rapidement basculé du répertoire religieux, pour conquérir les principaux rôles de la récente Opéra au début des années 1600.
Que reste-t-il des castrats et des contre-ténors aujourd’hui ?
La castration à des fins artistiques fut interdite en 1870, un an après sa castration à l’âge de 12 ans, Alessandro Moreschi, fut donc le dernier castrat. Il est décédé en 1922. A notre grande surprise, 17 fragments de musique chantés par Moreschi avec un accompagnement au piano, ont été conservés sur des disques d’ardoise.
Ces enregistrement datant de 1902 sont assez imparfaits, mais suffisant pour se faire une idée de la façon dont ces voix du passé pouvaient sonner. C’est le seul témoignage solide conservé durant les quatre cents ans de l’histoire vivante des castrats.
Il y a eu un renouveau des voix masculines aiguës. Ces hommes n’ont pas eu recours à la castration, mais à la technique de la voix de fausset. Grâce à celle-ci, les chanteurs on pu reconstituer cette voix du passé. Le britannique Alfred Deller, un pionnier dans cette reconstruction, diffusera et enregistrera entre 1955 et 1979, de nombreuses pages de chefs-d’œuvre du passé, destinés à une voix de contre-ténor. Dominique Visse, fondateur et dirigeant dans les années 70 d’un groupe mythique du répertoire historiciste français l’Ensemble Clément-Janequin, étudie avec lui, devenant le premier contre-ténor français des temps modernes. D’autres voix importantes telles que Gerard Lesne avec Il Seminario Musicale en 1985 , ont suivi ce mouvement artistique.
Le contre-ténor le plus célèbre en France est Philippe Jaroussky. Né en 1978, il possède une technique prodigieuse pour chanter en voix de fausset. Tout comme le font les voix féminines et en essayant d’obtenir un son le plus naturel possible, il parvient au son vocal typique d’un ange.
Personne ne sait ce que l’avenir réserve au retour sur scène de ces originelles et puissantes voix des Castrats. Actuellement, des nouveaux chanteurs en tessiture de soprano se sont imposés au registre de fausset, grâçe à la particularité de leurs cordes vocales, proche de celles des enfants. Mais, laissant encore un peu de temps et de recul pour parler d’eux, ainsi que de leurs exploits dans ce monde fascinant…
Chez Blanktone, on avait très envie de vous partagez une de nos musiques écrites pour cette magnifique voix de contre-ténor. Interprétée par Benjamin Gobbé avec un accompagnement d’orchestre, elle permet d’accentuer le côté dramatique du film.
Article écrit par Antonio del Carmen – Traduit par David Escudero